Mille manières

d’explorer l’univers alimentaire

Histoire naturelle et morale  de la Nourriture, de Maguelonne Toussaint-Samat, préface de Guy Savoy, introduction  de Noëlle Châtelet.

Éditions Le Pérégrinateur, 2013,  824 pages, 29,90 euros.


On se souvient d’une Histoire du Père Noël évoquée l’an passé dans nos colonnes. L’objet est ici différent, mais l’intérêt est le même : explorer – avec un souci de rigueur scientifique – un objet privilégié de la culture humaine. Évidemment, la nourriture offre un sujet de portée plus universelle, et ancré dans la nature. Histoire naturelle est ici à prendre dans le sens étymologique d’une enquête systématique dont l’axe n’est pas seulement chronologique, puisqu’il s’agit d’étudier dans toute sa richesse l’univers alimentaire et gastronomique des civilisations humaines.


On serait bien embarrassé de mentionner une seule production naturelle, un seul mode de préparation culinaire dont l’ouvrage n’étudie non seulement l’histoire mais aussi la portée, le sens et la fonction symbolique. Les données ethnologiques concernant l’agronomie, l’élevage ou la conservation voisinent avec les considérations diététiques, les espèces vivantes avec les techniques propres à se les procurer, les recettes avec les légendes. Au nombre de celles-ci, les trucs de bonne femme supposés permettre de neutraliser la toxicité des champignons. La dimension sociale et politique n’est pas laissée pour compte : qu’on songe – et il y a bien d’autres exemples – à l’enjeu fiscal que représente le sel sous l’Ancien Régime en France.


Le volume de l’ouvrage explique sans doute l’absence d’illustrations. Néanmoins, les descriptions concrètes, les anecdotes historiques, les évocations mythologiques éloignent ce livre – pourtant si richement documenté – de toute sécheresse documentaire. Quel amateur de bière connaît la légende qui attribue à une étourderie du dieu égyptien Osiris, l’invention de sa boisson préférée ? Qui imaginera qu’il ait fallu 3 250 douzaines d’œufs pour confectionner les 50 000 tartes englouties au banquet de couronnement du pape avignonnais Clément VI, en 1344 ?

Qui se souvient que le procédé auquel nous devons les conserves

s’appela d’abord « appertisation », du nom de Nicolas Appert (1749-1841), officiellement déclaré bienfaiteur de l’humanité pour en avoir élaboré le principe ?


Une chronologie, une bibliographie et un index très détaillés complètent cette superbe exploration des mille manières que la culture a inventées pour valoriser les ressources offertes par la nature.


Patrick Dupouey,

philosophe.

L’Humanité