Une Histoire
de France
Extraits
Une Histoire
de France
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L’ère napoléonienne
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« La Révolution est fixée aux principes qui l’ont commencée, elle est finie » (proclamation des consuls, 15 décembre 1799). On ne saurait mieux résumer l’équilibre recherché, assurément délicat puisqu’il s’agit à la fois de préserver l’héritage de 1789 et de stabiliser le processus engagé depuis maintenant une décennie. Un an plus tard, Bonaparte reformule l’idée devant le Conseil d’État : « Nous avons fini le roman de la Révolution : il faut en commencer l’histoire, ne voir que ce qu’il y a de réel et de possible dans l’application des principes. » Nul doute qu’aux yeux de son auteur, cet appel au principe de réalité ne passe prioritairement par la restauration de l’ordre et de la paix. L’ordre tel que le concevaient les Brumairiens, et tel qu’il le pense lui-même, suppose un exécutif fort. Il l’incarnera seul en tant que Premier consul, la présence à ses côtés de ses deux nouveaux collègues (Cambacérès et Lebrun) dissimulant bien mal le pouvoir personnel sous une façade de collégialité. Le législatif se trouve, pour sa part, fragmenté en quatre assemblées : le Conseil d’État rédige les projets de loi dont le Premier consul a l’initiative exclusive ; le Tribunat les discute sans pouvoir les modifier ; le Corps législatif les vote sans pouvoir les discuter, le Sénat en vérifie la constitutionnalité. Cette fragmentation vaut d’autant plus sujétion que l’établissement d’un suffrage universel à plusieurs degrés réduit l’expression citoyenne à n’être qu’un moyen de circonscrire les élites sociales : les hommes de plus de 21 ans élisent 600 000 notabilités communales qui élisent elles-mêmes 60 000 notabilités départementales qui choisiront enfin 6 000 notabilités nationales. C’est dans ce vivier que Bonaparte choisit un certain nombre de sénateurs qui y cooptent ensuite leurs collègues ; dans ce vivier aussi que les sénateurs nomment les membres du Tribunat et du Corps législatif. Or les sénateurs sont d’autant moins disposés à contrecarrer le Premier consul qu’ils en attendent charges et honneurs, voire une sénatorerie, l’un de ces grands domaines taillés dans les biens nationaux, susceptibles d’assurer à leur bénéficiaire un revenu de 20 000 à 25 000 francs par an…
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La soumission de la Gaule
Quelle est donc cette Gaule que Rome achève de soumettre au Ier siècle avant notre ère ? En aucun cas un ensemble territorial unifié, pas plus qu’un espace qui serait peu ou prou circonscrit par les futures frontières nationales. Il faut se garder de toute illusion rétrospective qui voudrait discerner dans la Gaule le visage anticipé de la France. Les Gaulois ne préfigurent pas les Français.
Les sociétés celtes (ou gauloises) qui ont émergé au VIIIe siècle avant J.-C. (âge du fer ou période dite halsttatienne) se sont structurées autour de places fortifiées. Elles ont noué des relations avec le monde méditerranéen comme en témoigne le fameux cratère de Vix en bronze, probablement coulé en Grande-Grèce, découvert en 1953 dans la chambre funéraire d’une princesse inhumée au mont Lassois (Côte-d’Or). Ces échanges commerciaux se sont nourris de l’essor de comptoirs grecs sur la côte : Marseille, fondée en 600 par les Phocéens (Grecs d’Asie mineure), Nice, Antibes, Agde, etc.
Au début du Ve siècle, l’ère dite de la Tène succède sans solution de continuité à la civilisation hallsttatienne. Elle est marquée par les « mouvements celtiques », migrations nées de la pression démographique qui conduisent ces populations à s’immiscer dans les îles Britanniques, en Europe orientale ou même en Asie mineure. Cette extension procède souvent de l’infiltration de petits groupes qui se mêlent aux populations locales ; elle peut aussi prendre le visage d’expéditions militaires, à l’instar de celle qui conduit les Sénons de Brennus jusqu’à Rome, pillée et incendiée vers 380.
Le fait majeur de cette période reste peut-être la progressive stabilisation du maillage territorial des quelques dizaines de peuples gaulois, organisés chacun autour d’oppida, de villages et de fermes. Ainsi les éduens (capitale Bibracte) : ils dominent un territoire s’étendant du Morvan à l’axe de la Saône, recouvrant une bonne partie de la Bourgogne actuelle, et fondent leur puissance sur leur position de carrefour ; ainsi les Arvernes (capitale Gergovie) à qui l’Auvergne empruntera son nom ; ainsi les Allobroges, les Helvètes, les Séquanes, les Bituriges, etc.
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D’un mai à l’autre
Les scansions de la vie politique ne reflètent, à vrai dire, que très partiellement les profondes mutations socioculturelles que connaît alors le pays. C’est au milieu des années 1960 que commence à baisser la fécondité (réalité encore masquée par le grand nombre de baby boomers parvenus en âge de procréer) et que s’amorce une « crise des valeurs » appelée à faire couler beaucoup d’encre (baisse de la pratique religieuse, essor de l’individualisme et de l’hédonisme, remise en cause des autorités, etc.). Les sociologues multiplient les enquêtes sur ces millions de jeunes nourris de rock et de twist, s’interrogent sur ces quelque 150 à 200 000 d’entre eux qui, dans la nuit du 22 au 23 juin 1963, se sont massés, à l’appel de Daniel Filipacchi, l’animateur de Salut les Copains (Europe n°1), place de la Nation, à Paris, pour voir et écouter les idoles du yé-yé, Johnny Hallyday, Sylvie Vartan, Richard Anthony et d’autres. S’agit-il là d’une nouvelle culture véhiculée par les industriels du disque et du transistor ? De la contre-culture d’une classe d’âge peu pressée d’abandonner le jean pour endosser le costume-cravate et de vivre au rythme immuable du « métro-boulot-dodo » ? Sans doute les jeunes, beaucoup s’en faut, ne relèvent-ils pas tous d’un même moule. Mais des tendances lourdes se dessinent : un allongement des études et un net gonflement des bataillons d’étudiants qui se retrouvent sur les bancs d’universités peu à même de les accueillir, une culture de la contestation forgée durant la guerre d’Algérie, réactivée par la guerre du Viêt Nam et entretenue par de multiples mouvements d’extrême gauche trotskystes et maoïstes. Le débat idéologique se nourrit aussi des idées portées par l’Internationale situationniste dont l’un des maîtres à penser, Guy Debord, appelle à « changer le monde ». Circulent en milieu étudiant des brochures dont le titre vaut parfois programme (De la misère en milieu étudiant considéré sous ses aspects économique, politique, psychologique, sexuel et notamment intellectuel et de quelques moyens pour y remédier).
L’agitation couve dans les universités (revendication de la liberté de circulation pour les filles comme pour les garçons dans les résidences étudiantes, grève contre la réforme Fouchet jugée discriminante et potentiellement sélective). Lors de l’inauguration de la piscine du campus de Nanterre, en janvier 1968, un étudiant en sociologie, brillant et provocateur, Daniel Cohn-Bendit, interpelle le ministre de la Jeunesse et des Sports, François Missoffe, sur l’absence des questions de sexualité dans le Livre Blanc sur la jeunesse que ce dernier vient de publier.
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« Mai 1968 » n’en finira plus de hanter les mémoires, souvent convoqué comme étalon de référence pour mesurer l’ampleur des luttes sociales qui, telle la queue d’une comète, continueront, dans les années qui suivent, à décliner les mêmes thèmes protestataires. Faut-il parler de révolution ou, selon Raymond Aron, « d’immense défoulement » (« un carnaval, un flot de démagogie, d’utopie ou de rêve, gonflé par l’illusion de vivre des journées historiques ») ? Certains auront caressé sans doute le rêve d’une mise à bas du système capitaliste, mais les événements donnent d’abord à voir une volonté de prise de parole (en témoigne la multiplication des forums dans les usines, comme les débats dans le théâtre de l’Odéon occupé), une mise en valeur de l’individu et de ses désirs, un rejet de l’autorité et de ceux qui l’incarnent. Nombreux et célèbres sont les slogans qui signent ces revendications hédonistes ou libertaires : « Vivre sans temps mort et jouir sans entrave », « Soyez réalistes, demandez l’impossible », « Professeurs, vous êtes vieux… votre culture aussi », « Cours, camarade, le vieux monde est derrière toi ». Le pouvoir lui-même ne pourra ignorer la marque laissée dans la société par ces quelques semaines incandescentes, vite transmuées en légende par quelques nostalgiques particulièrement diserts.
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Et maintenant ?
C’est ce pays fragilisé qui se trouve confronté à une conjoncture internationale particulièrement délicate. Chute du mur de Berlin, attentat contre les Twin Towers à New York : la fin de la guerre froide a remodelé la carte de l’Europe, la montée de l’islamisme n’en finit plus de déstabiliser les sociétés occidentales ainsi qu’en témoigne la récurrence d’actes terroristes sanglants (affaire Mohammed Merah, attentats contre Charlie Hebdo et le magasin Hyper Casher de la porte de Vincennes, massacres de novembre 2015 à Paris et du 14 juillet 2016 à Nice).
Faut-il souligner la singulière résonance de tels événements dans un pays où vit depuis des décennies une importante communauté musulmane ?
De politiques d’immigration mal conduites en politiques de logements mal pensées, la ségrégation et l’exclusion sont devenues le lot commun de bien des Français d’origine étrangère. Originellement conçus comme une réponse « moderne » à une urgence sociale, les « grands ensembles », édifiés de la fin des années 1950 jusqu’en 1973 – Sarcelles en était alors l’archétype –, se sont progressivement vidés de la « petite classe moyenne » à laquelle ils étaient destinés ; année après année, ils se sont imposés comme un lieu emblématique de la relégation sociale. Les révoltes urbaines, dans ce qu’il est désormais convenu d’appeler les « quartiers » ou les « espaces sensibles », ont scandé les dernières décennies : il y a un quart de siècle déjà, François Mitterrand, invité par Banlieues 89 à Bron, au lendemain d’une émeute à Vaulx-en-Velin, pointait, parmi d’autres, « la terrible uniformité de la ségrégation, celle qui regroupe des populations en difficulté dans les mêmes quartiers, qui rassemble les enfants d’origine étrangère dans les mêmes écoles ». La destruction de quelques barres ici ou là n’aura pas suffi à corriger la triste réalité des discriminations dans l’espace urbain.
Dans un tel contexte, les échos de la situation internationale ne pouvaient que réveiller des revendications identitaires et aiguiser les tensions. La question du port du foulard à l’école, puis celle de la burqa ou de la nourriture halal dans les cantines, ont réactivé le débat sur la définition même de la laïcité.
Voilà qui ne suffit pas à expliquer comment de jeunes Français basculent dans l’islamisme et l’activisme radical. Peut-on s’en tenir à une analyse qui se contenterait d’invoquer de façon trop mécanique le lourd passé colonial ou les errances de la politique d’intégration républicaine ? Faut-il pointer la percée du discours salafiste dans les « territoires perdus de la République » ? Ou à la « radicalisation de l’islam », doit-on opposer comme clé d’interprétation « l’islamisation de la radicalité » ? L’enjeu de ces querelles de spécialistes n’est pas négligeable dès lors qu’il s’agit de déterminer une stratégie pour répondre au terrorisme.
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