Comment voyez-vous aujourd’hui la place de l’Histoire de France dans la production éditoriale ?
L’Histoire de France suscite bien des réticences. La communauté universitaire la tient souvent pour un exercice à la fois difficile et contestable, scientifiquement dépassé, voire idéologiquement suspect. Non sans raison si l’on considère que le grand « roman national » forgé par la IIIe République afin d’enraciner chez les écoliers l’amour du régime et du pays relevait d’une forme de propagande quelque peu obsolète.
Reste que si les historiens se méfient de l’Histoire de France, ils n’en finissent pas d’y revenir. Parfois au terme de leur carrière ; parfois dans le cadre de vastes entreprises éditoriales ayant pour ambition de dresser un état des lieux de la recherche. C’est reconnaître la validité d’une réflexion s’assignant comme cadre le territoire national dès lors que celui-ci ne se conçoit pas comme la matrice d’un repli identitaire frileux.
Quel nouvel éclairage votre livre apporte-t-il sur l'Histoire de France ?
Il s’agit moins d’un nouvel éclairage que d’une volonté de synthèse. Il existe, en effet, de très belles Histoires de France en plusieurs volumes, rédigées par des équipes d’universitaires. A côté de ces sommes, exigeantes par leur ampleur, foisonnent une multitude d’ouvrages à destination du grand public, souvent plus convenus, parfois peu au fait de la bibliographie récente, quand elles ne cultivent pas tout simplement la nostalgie de ce « roman national » que je viens d’évoquer.
Mon but est de proposer, en quelques centaines de pages seulement, un livre qui se fasse l’écho des travaux les plus sérieux, tout en essayant de rendre compte des constructions historiographiques qui se sont succédé au cours des siècles, offrant chacune leur vision de l’histoire nationale (Grandes Chroniques de France, histoire républicaine du XIXe siècle, etc.).
J’ai d’autre part tenu à ce qu’à côté du récit des péripéties de la construction de l’Etat-nation figurent en bonne part les grandes évolutions économiques et sociales. Une Histoire de France ne peut être seulement celle du pouvoir ou des grands événements politiques ; elle doit être aussi celle des hommes et des femmes, de leurs relations, de leurs cadres et modes de vie, de leur travail… ou de leurs loisirs.
Avez-vous des périodes historiques de prédilection ?
J’ai un goût particulier pour le XIXe siècle qui, sur fond de révolutions, voit se succéder de nouvelles expériences monarchiques et se forger la République. C’est aussi le siècle de la révolution industrielle, du développement des usines et de la métamorphose urbaine. Or curieusement ce siècle si riche est souvent mal connu et méconnu. Pendant longtemps, il est vrai, les programmes scolaires l’ont trop peu mis en valeur.
Faut-il rappeler encore une fois que le XIXe siècle fut précisément le moment de la grande mise en ordre de tout le passé national ? Les Républicains entendaient inscrire leur œuvre comme une forme d’aboutissement, un parachèvement de l’histoire française. J’ai tenu à donner à ce siècle véritablement fondateur une place importante dans mon livre.
Comment avez-vous rassemblé la documentation sur laquelle vous vous appuyez ?
J’enseigne depuis vingt ans en classes préparatoires littéraires et dans les programmes parisiens de l’Université de Columbia, et depuis bientôt une dizaine d’années à Sciences Po. C’est dire que ma fréquentation des ouvrages universitaires est quotidienne. Il serait vain dans ces conditions de dresser une liste exhaustive des livres ou des articles que j’ai lus et relus, toujours avec intérêt, souvent avec passion. Ce livre est celui d’un professeur qui entend faire partager au plus grand nombre son goût pour la discipline historique.
A quel public destinez-vous votre ouvrage ?
L’ouvrage s’adresse au public le plus large, à tous ceux qui, lycéens, étudiants, citoyens, amateurs passionnés, entendent se familiariser avec l’histoire de France. Soyons bien clairs : il ne suppose ni prérequis ni bagage érudit, seulement de la curiosité intellectuelle. Je veux croire qu’il s’agit là d’un « défaut » très partagé.
Paris, 20 janvier 2017